Bon alors j’ouvre la porte du penthouse, aller-retour, et je file, vite, vite, vite.
“ Gaby, ne te comporte pas comme une enfant s’il te plaît ! ”
Oh c’est pas vrai, il m’a suivie ! Il ose me suivre DANS l’appartement de mon patron ! Mais quel malade ! Il veut me narguer ou quoi ? M’achever ?
Clac.
Clac ?
Comment ça clac ? Ca veut dire quoi ce clac ? Ne me dites pas que ...
Argh. Il a fermé la porte de l’appartement. Mon pass était à l’extérieur, quel ... grrrrrrr.
“ T’es complètement débile ?
- Hein ? ”
Oui naturellement, il n’a pas compris, il en tient une couche celui-là. Comment j’ai pu avoir envie de l’épouser, hum ?
Je me précipite vers la porte. Ah oui, impossible de la déverrouiller.
“ Merde, on est coincés !
- Oups. ”
Oups. Il me dit oups. Là je sens que je vais faire un malheur !
“ Oups ? C’est tout ce que tu trouves à dire ? Mais t’es inconscient ? Je vais me faire virer moi !
- Ton boss ne va pas te virer pour ça, tu m’as dit qu’il était cool ...
- Oui, cela dit je constate un effort persistant de ta part pour faire de ma vie en Enfer. Tu ne crois pas que tu fais dans l’excès de zèle, là ? Hein ? Je t’assure que tu as bien fait ton boulot, tu peux te choisir une autre victime ! ”
Bon, je vais appeler le vigile qui ne sait pas. Après ça, il saura mais je m’en fous, du moment qu’il vient nous libérer avant que le boss n’arrive.
“ Qu’est-ce que tu fais ?
- Je demande de l’aide. ”
Il m’arrache le combiné des mains, prend l’appareil et le débranche.
“ Tu me fais quoi là ?
- On appellera tout à l’heure. Là je profite de l’occasion pour te parler.
- Non, je n‘écoute pas.
- Bon, n’écoute pas, je m’en fiche, j’ai tout mon temps. Mais ton patron va bientôt rentrer, et je suis sûr que tu n’as pas envie qu’il te découvre enfermée dans son appartement avec un inconnu. Alors ? ”
Finalement, en lieu et place des colombes, je vais plutôt m’initier au découpage de Vinny.
“ Bon parle, tu as deux minutes. Non, non, non, réflexion faite, tu n’en as qu’une.
- Bon, je voulais m’excuser. Je n’aurais jamais dû faire ce que j’ai fait au mariage, et je m’en veux.
- Super intéressant. 45 secondes.
- J’ai paniqué, tu sais que je peux être instable, et il y avait toute cette pression sur moi ... Je n’étais pas encore prêt, je croyais que je l’étais, mais ce n’était pas le cas.
- Oui, oui, génial. 30 secondes.
- Et je voudrais que tu me pardonnes et que tu reviennes avec moi. ”
Euh ... Il se fouterait pas de ma gueule par hasard ?
“ Euh ... Tu te fouterais pas de ma gueule par hasard ?
- Je suis sérieux. Je sais que j’ai gâché le mariage, mais je t’aime, j’ai besoin de toi. C’est pas grave si on ne se marie pas, je voudrais juste qu’on soit tous les deux. Comme avant. ”
Oui, il se fout de ma gueule.
“ Oui, tu te fous de ma gueule.
- Ne sois pas si butée s’il te plaît. Tu sais qu’on est fait l’un pour l’autre.
- Euh question idiote ... Si on est fait l’un pour l’autre, pourquoi tu n’as pas voulu m’épouser ?
- On n’a pas besoin de ça ... C’est tout.
- J’étais beaucoup plus convaincue le jour où mon père m’a dit que je n’aurai pas de poney parce que le Père Noël était allergique à leurs crins.
- Ca ne te suffit pas de savoir que je t’aime ?
- Non.
- Ce que tu peux être chiante parfois ...
- Oh ? Désolée d’être un peu contrariée parce que tu as gâché mon mariage !
- Voilà !
- Quoi voilà ?
- Ton mariage ! Ta famille, tes amis, tes fleurs, ton curé qui t’a baptisée, ton lâcher de colombes, ta robe ... Toi, toi, toi, toi, toi ! Tu ne penses qu’à toi !
- Non c’est faux.
- Si c’est vrai. Bon, au début, je t’avais surtout proposé le mariage parce que je sentais que tu l’attendais et que tes visites fréquentes chez ton psy m’inquiétaient. Et puis j’ai commencé à l’aimer, moi, cette idée de mariage. Mais tu sais quoi ? En le préparant, tu es devenue un monstre ! Je te reconnaissais plus ! Ca m’a fichu la trouille, et je me suis dit, je vais passer toute ma vie avec cette folle dingue et ses lâchers de colombes dans une toute petite Église du début du siècle ! Tu m’as fait peur. ”
MMmmmmmmm M’ÉNERVE ! Maintenant c’est de ma faute. Euh ... C’est vrai que je suis comme ça ?
“ J’avoue avoir paniqué ces dernières semaines, et surtout le jour de la cérémonie. J’ai eu tort, parce que, à y réfléchir, ça ne m’aurait pas tant ennuyé que ça d’épouser une hystérique. Enfin je veux dire, c’est toi ... Enfin je veux dire que ... Après-coup, je me suis rendu compte que je t’aimais et que je voulais toujours de toi dans ma vie. Plus que jamais. Et peu importait si tu pétais les plombs pour organiser un mariage, si tu avais des obsessions sur les colombes, si tu voyais une psy parce que tu as lu dans un magazine féminin que c’était tendance, ou si tu faisais des heures supp’ pour un patron aventureux qui est un danger public. Je suis désolé de t’avoir abandonnée. Si tu me donnes une autre chance, je te jure que m’accrocherai à toi. Voilà. C’est tout. ”
Bon. Je fais quoi là ?
“ Tu aurais dû me parler de ça plus tôt. Tu as tout gâché, et tu m’as fait du mal, beaucoup de mal.
- Je sais. Je ferai ce qu’il faut pour me faire pardonner. ”
Mais euh.
Le saligaud.
J’avais oublié qu’il pouvait être aussi mignon, parfois.
Et comment je fais maintenant pour le détester ?
“ Tu accepterais de t’excuser auprès de toute ma famille ?
- Euh ... Ben si je pouvais éviter la Tante Hilda, je ... ”
Grrrrrrrr ....
“ Euh oui, bon, la Tante Hilda aussi. Mais je te signale qu’elle griffe.
- Tu accepterais qu’on abandonne notre appartement pourri pour une vraie maison ?
- Comment ça pourri ? Nous ... ”
Grrrrrrrr ...
“ D’accord, on aura une jolie maison. On en trouvera une pas trop chère, et on la retapera. On fera du bricolage les dimanches ennuyeux.
- Et des bébés ? Tu m’en feras ?
- Ben ... On a le temps ... Largement le temps pour ça, tu ne crois pas ?
- Vinny, je vais avoir quarante ans !
- Quarante ans ? Tu vas avoir quarante ans dans neuf ans ! ”
Je souris.
“ Bon. On attend alors. Mais je te préviens, que si tu me lâches encore, ma vengeance sera terrible ! Et j’espère que tu n’as rien contre le ragoût de colombes !
- Le ... Bon, parfois, je préfère renoncer à comprendre certaines choses avec toi ...
- Vinny ?
- Oui ?
- Arrête de parler tout seul et embrasse-moi.
- Hum ? Ah oui, d’accord. ”
Il s’approche de moi et m’enlace mais ... Glups. J’entends du bruit dehors.
“ Oh non, c’est mon patron ! Il revient ! ”
Merde, merde, merde, merde ! Je suis morte, foutue, grillée ! Je me demande ce que je vais bien pouvoir inventer quand Vinny me tire par le bras. Qu’est-ce que ... ? Oh, il m’emmène me cacher sous son bureau !
“ T’es malade ? Il va nous voir ... je murmure.
- Mais non, t’en fais pas. ”
La porte s’ouvre et j’entends des rires. Oh oh. Il n’est pas seul.
Et je ne sais pas avec qui il est, mais la fille a l’air d’en avoir pour son argent ... Façon de parler ... Bon avec un peu de chance, d’ici deux minutes, ils vont se faufiler jusqu’à la chambre et on pourra partir discrètement, ils ... Oh non. C’est pas vrai. Il se la joue cavalcade sauvage ... C’est bon, on le sait que c’est un étalon, pourquoi se fatigue-t-il à la prendre sur son bureau ? Il n’a plus besoin de se faire une réputation maintenant, il pourrait se contenter d’une petite fiesta dans son lit, c’est ce que font les gens civilisés. Beurk ... Ne me dites pas que je vais entendre les ébats sexuels de mon patron, ne me dites pas ça, ne me dites pas ça ... Et je suis censée rentrer au boulot lundi matin après ça moi ? Oh la galère.
Je regarde Vinny. Son visage grimace.
Il va rire ce con.
Non, non, non ne ris pas ! Je t’en supplie ne ris pas ou c’est moi qui te quitte cette fois ! Vinny ... ?
Trop tard.
Soupir.
Bon, il fallait s’y attendre. Situation humiliante et embarrassante de ma vie numéro 214.
On s’extirpe de sous le bureau alors que mon patron et sa nana du soir se refroquent rapidement en nous jetant des regards révulsés. Je sors à quatre pattes, suivi de près par Vinny ... Quand j’y pense, ça fait tendancieux. Je me contorsionne le cou pour regarder vers mon patron qui reboutonne rapidement sa chemise et _ mazette, il a des tablettes de chocolat le gus ! M’en doutais mais quand même voir de près c’est autre chose ... _ je tente de voir la tronche qu’il me fait.
Ah oui, effectivement, notre sortie burlesque fait son effet. Il doit s’imaginer je ne sais quoi de tordu ... Je lui dis quoi ? Non non, Monsieur Winch, je ne m’envoyais pas en l’air dans votre appartement ! Quoi ? Si je vous espionnais faire l’amour pour assouvir un fantasme pervers ? Euh ... Non plus. Je vous assure !
Hum, je me relève, Vinny me suit comme mon ombre (pourvu qu’il ne dise rien celui-là, il serait capable de mettre de l’huile sur le feu ...), je me dépoussière un peu et j’esquisse un sourire crispé. Oui, crispé est un faible mot. Lui il a fini de se reboutonner et regarde sa petite amie mannequin qui lui fait une moue boudeuse, genre, quand est-ce qu’on conclue l’affaire, j’ai une séance de photos à six heures demain matin ? Je vous avais déjà dit que je détestais les Top Model ? A tous les coups elle va me faire virer.
“ Gabriella ? Mais qu’est-ce que vous faites ici ? ”
Bonne question. J’essaie de trouver la manière de l’an 2003 pour se faire virer.
“ Euh ... Je suis venue vous apporter le contrat pour l’affaire avec les anglais. ”
Ben quoi ? C’est vrai non ?
“ Très joli appart’ que vous avez là ... ”
Vinny, pourquoi tu la fermerais pas pour une fois ...
“ Vous êtes qui vous ? demande mon patron.
- Euh ... C’est mon conseiller.
- Votre conseiller ? répète Winch sans comprendre.
- Oui, mon conseiller en ... Lâchers de colombes. Qu’en pensez-vous alors Mr Wallace ? ”
Oh la tête qu’il me fait. Ses yeux me disent : Gaby, mon amour, c’est le truc le plus con que tu aies inventé.
“ Ce que j’en pense euh ... Oui, c’est un très bel endroit pour faire partir un lâcher de colombes. Magnifique terrasse. Si nous allions vérifier l’Empire State Building maintenant ?
- Bonne idée ! Allons-y ! Monsieur Winch, Mademoiselle je ne sais pas qui. Bonne soirée ! ”
Cours, vite, vite, cours avant qu’il ne demande d’explication ...
Je jette un coup d’œil vers lui en ouvrant la porte, histoire de voir si c’est la peine de venir lundi au bureau ou pas ... Voyons voyons ... Ben apparemment ça lui a coupé la chique, mais il finit par sourire de notre malicieuse et très discrète retraite. Oui, je crois que c’est bon pour lundi.
Y a pas à dire, j’ai un patron très cool.
FIN…